« Aucun mot n’est vulgaire en fait, seuls les comportements peuvent l’être »
Dany Laferrière.
Depuis longtemps, la société a assigné aux mots une charge morale qui dépasse leur simple fonction de communication. Certains termes sont jugés vulgaires, inappropriés, voire scandaleux, tandis que d’autres sont acceptés sans réserve, simplement parce qu’ils correspondent à une norme. Pourtant, si l’on examine de plus près cette idée de vulgarité, on s’aperçoit que ce n’est pas le mot lui-même qui porte une quelconque forme de vulgarité, mais bien l’intention et le comportement de celui qui l’emploie. Le mot, dans son essence la plus pure, n’a ni valeur morale, ni charge émotionnelle ; il est une simple unité de langage, une combinaison de sons ou de lettres pour exprimer une idée. C’est dans l’usage, dans la manière dont il est prononcé et dans le contexte dans lequel il est déployé que réside la véritable vulgarité.
La perception sociale de ce qui est vulgaire repose souvent sur des critères extérieurs : l’éducation, les normes culturelles et les tabous sociaux. Il suffit parfois qu’un mot soit associé à une notion de « mauvais goût » ou de « déviance » pour qu’il soit catalogué comme vulgaire. Mais cette classification ne nous dit rien sur la nature réelle du mot en question. En réalité, ce n’est pas le mot, mais la manière dont il est utilisé pour dénigrer, insulter ou humilier quelqu’un qui le rend vulgaire. Un mot peut être un simple vecteur d’émotion ou d’humour, comme un outil poétique, sans pour autant perdre sa dignité. C’est l’attitude, le comportement derrière ce mot, qui en définit la vulgarité.
L’histoire de la notion de vulgarité dans la langue
La notion de vulgarité n’a pas toujours été perçue de la même manière à travers l’histoire. Elle est intimement liée à l’évolution des valeurs sociales et culturelles, et sa définition varie considérablement d’une époque à l’autre. En examinant l’histoire de la langue, on peut observer comment certains mots, autrefois considérés comme inacceptables, ont été réintégrés dans le langage courant, tandis que d’autres ont conservé ou renforcé leur connotation péjorative. Cette évolution reflète la manière dont la société juge ce qui est acceptable et ce qui est dégradant.
À une époque, certains mots considérés comme vulgaires étaient tout simplement des termes populaires, utilisés par les classes populaires et par ceux qui ne suivaient pas les codes du langage académique ou aristocratique. Ces mots étaient perçus comme une dégradation de la langue pure et raffinée, donc ils étaient associés à une forme de vulgarité sociale, mais pas nécessairement à une vulgarité morale. Avec le temps, certains de ces mots ont été réintégrés dans le langage courant, utilisés de manière plus décomplexée, notamment grâce à la poésie, à la littérature, et même à l’humour populaire, qui ont souvent défié les conventions linguistiques et sociales.
Les écrivains et poètes, en particulier, ont joué un rôle crucial dans la transformation de certains termes dits « vulgaires » en symboles de libération ou d’expression créative. La littérature du 19e siècle, par exemple, a commencé à briser les tabous autour de certains mots en les insérant dans des œuvres majeures, redéfinissant leur signification et leur fonction. De la même manière, la poésie de Baudelaire, de Verlaine ou de Rimbaud, avec ses vers audacieux et ses images provocantes, a contribué à casser les frontières entre le langage « pur » et ce que la société considérait comme vulgaire ou subversif.
Aujourd’hui, certains mots autrefois considérés comme inacceptables sont utilisés avec une grande liberté, notamment dans les médias, la musique et le cinéma, où ils ne sont plus perçus comme synonymes de vulgarité mais plutôt comme un moyen d’exprimer une forme de rébellion, de réalisme ou d’humour. Les tabous changent, et avec eux, la ligne de ce qui est jugé vulgaire. Cela montre que, loin d’être une question intrinsèque au mot lui-même, la vulgarité est avant tout une question de perception sociale et culturelle, en constante évolution.
Cependant, malgré cette évolution, certains comportements restent inacceptables : l’utilisation de mots pour humilier, rabaisser ou dévaloriser autrui demeure, au-delà des termes employés, un acte de vulgarité dans son sens le plus profond. La vulgarité, dans ce cas, n’est pas dans la structure du mot, mais dans l’intention et dans l’acte de dégradation envers autrui.
Le rôle de l’intention derrière les mots
L’intention derrière un mot est cruciale lorsqu’il s’agit de déterminer s’il est vulgaire ou non. Un mot peut être perçu de manière totalement différente selon la manière dont il est prononcé, le contexte dans lequel il est utilisé, et surtout, les intentions de celui qui le dit. Il est important de distinguer entre un mot employé pour exprimer un sentiment sincère, une réflexion, ou même une forme d’humour, et un mot utilisé dans une intention de domination, de dénigrement ou d’agression.
Prenons l’exemple des insultes : un même terme peut être employé de manière anodine, voire affectueuse, dans un cadre informel entre amis, ou dans un contexte de compétition ludique. Dans ce cas, l’intention est de taquiner ou d’amuser, et bien que le mot puisse paraître rude ou fort, il ne portera pas la même charge de vulgarité qu’un terme prononcé dans une situation de haine ou de mépris. Les insultes utilisées dans le cadre d’une discussion agressive, ou pour blesser délibérément l’autre, révèlent une intention de dévaloriser, ce qui est à l’origine de la vulgarité perçue.
La véritable vulgarité ne réside pas dans la simplicité ou la brutalité apparente des mots, mais dans la volonté de l’individu de rabaisser ou d’humilier. Lorsque des mots sont utilisés dans un contexte de violence verbale, leur fonction est de détruire, de discréditer et de renforcer une forme de domination sur l’autre. C’est cette utilisation malveillante des mots qui en fait des instruments de vulgarité, non pas leur structure ou leur origine.
Un mot qui, prononcé dans un contexte amical, peut sembler inoffensif, peut devenir une arme dangereuse lorsqu’il est utilisé avec l’intention de nuire. Le même mot peut alors se transformer, par l’intention qui le porte, en un vecteur de mépris, de violence ou de domination, et c’est cette intention qui le rend véritablement vulgaire. C’est pourquoi il est essentiel de toujours considérer le contexte émotionnel et l’objectif derrière l’usage d’un mot, plutôt que de juger la seule forme linguistique.
Le langage est un miroir de nos émotions et de nos rapports avec les autres. Ce n’est pas un mot en soi qui porte une intention, mais l’individu qui l’emploie. Le mot devient porteur de vulgarité lorsque celui qui l’utilise cherche à nuire ou à dégrader. La vulgarité, en fin de compte, se trouve dans l’acte, dans le comportement qui sous-tend l’utilisation du mot, et non dans le mot lui-même.
La vulgarité des comportements
Là où la véritable vulgarité réside, ce n’est pas dans les mots eux-mêmes, mais dans les comportements humains qui les accompagnent. Un mot, aussi brutal ou choquant qu’il puisse paraître à première vue, n’est qu’un outil, une expression. C’est l’attitude qui l’entoure, l’intention qui le guide, qui lui donne sa signification réelle. La vulgarité se manifeste dans les actions et les comportements qui dégradent l’autre, qui manquent de respect ou qui transgressent les normes de décence humaine.
Les comportements vulgaires, contrairement aux mots, sont bien plus visibles et concrets. Ils ne dépendent pas de l’interprétation personnelle de chaque individu, mais sont généralement perçus comme inacceptables par la majorité. La vulgarité dans les actes peut se manifester de diverses façons : par la violence physique ou verbale, par l’ignorance des normes sociales de respect, ou par un manque de considération pour les autres. Le véritable manque de respect se trouve dans l’attitude de celui qui humilie, dégrade ou attaque les autres, pas dans les termes qu’il utilise pour le faire. Une personne qui hurle, qui insulte sans raison ou qui manipule l’autre pour son propre profit dévoile un comportement vulgaire, peu importe les mots employés.
La vulgarité des comportements ne se limite pas seulement aux actes évidents de violence ou de haine. Elle peut se glisser dans des gestes plus subtils, des attitudes arrogantes, condescendantes, ou encore des jugements hâtifs qui montrent un mépris pour l’humanité des autres. Cela inclut aussi les gestes d’intolérance, de discrimination ou de rejet, qui sont souvent bien plus dommageables que les mots eux-mêmes. L’individu qui rabaisse, humilie ou méprise autrui à travers ses actes incarne une forme de vulgarité qui va bien au-delà du langage.
Ce qui distingue vraiment la vulgarité des comportements, c’est l’intention de détruire ou de dégrader. Un geste de solidarité, une action empreinte de bienveillance, ou même une parole dure mais prononcée avec respect, ne sont jamais vulgaires. C’est lorsque l’on agit avec l’intention de nuire, d’avilir ou d’humilier que l’on franchit la ligne de la vulgarité. Par conséquent, la vulgarité ne réside pas dans les mots, mais dans la manière dont nous choisissons de traiter les autres, de les considérer ou de les ignorer. Le comportement humain, dans sa dimension la plus brutale ou la plus déplacée, est ce qui forge réellement la vulgarité.
L’impact de la culture et du contexte social sur la vulgarité
La perception de ce qui est vulgaire varie considérablement selon les cultures et les contextes sociaux. Ce qui est jugé inacceptable dans une société peut être parfaitement acceptable dans une autre, ce qui prouve que la vulgarité n’est pas une valeur universelle, mais une construction sociale qui évolue en fonction du temps, des lieux et des groupes humains. La définition de la vulgarité, en effet, n’est pas statique ; elle se transforme et s’adapte en fonction des normes sociales et des codes culturels dominants.
Dans certaines cultures, certains mots, expressions ou comportements sont considérés comme impolis, tandis que dans d’autres, ces mêmes mots peuvent être parfaitement courants et acceptés. Par exemple, l’utilisation d’un langage familier ou d’insultes dans certaines communautés urbaines peut être perçue comme une forme d’expression légitime, voire de camaraderie, alors que dans un contexte plus formel ou traditionnel, ces mêmes termes seraient jugés inappropriés. Il est donc clair que la vulgarité n’est pas une question inhérente aux mots eux-mêmes, mais plutôt une question de normes sociales et culturelles.
Le contexte dans lequel un mot est prononcé joue également un rôle majeur dans la manière dont il est perçu. Un mot qui pourrait être jugé vulgaire dans une conversation formelle ou dans un environnement de travail pourrait être utilisé de manière totalement différente dans un cadre intime ou amical, où les normes de communication sont plus détendues. Les contextes de discours public, par exemple, où les normes de politesse et de civilité sont accentuées, peuvent rendre un mot ou un comportement particulièrement offensant, alors que dans un cadre privé, ce même mot pourrait être perçu de manière moins sévère.
Cette variation de la perception de la vulgarité nous invite à réfléchir sur les codes sociaux que nous suivons aveuglément et à comprendre que la véritable vulgarité réside moins dans l’usage des mots que dans le manque de respect, l’intention d’humilier ou de choquer gratuitement. Ce sont les attitudes qui sont partagées par une société qui forgent ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. En d’autres termes, ce n’est pas le mot qui est vulgaire en soi, mais la manière dont il s’inscrit dans un cadre culturel, social et moral.
Les mots, en fonction de la culture, du contexte et des valeurs partagées, peuvent ainsi se transformer, être réhabilités, ou au contraire devenir plus perçus comme plus inacceptables. C’est pourquoi il est crucial de toujours tenir compte de ces éléments lorsque l’on juge de la vulgarité d’un mot ou d’un comportement, et de ne pas se laisser emporter par une vision simpliste ou universelle de la vulgarité. En définitive, ce n’est pas le mot, mais la manière dont il s’inscrit dans un espace social qui en détermine la vulgarité.