Après la publication de mon premier roman, Abu Nizar, toute envie d’écrire s’est envolée. L’énergie même de me mettre au clavier a complètement disparu, et pourtant, ce n’était que la première partie d’une très longue saga. Ce n’était pas du tout le syndrome de la page blanche, car j’avais déjà établi des plans pour les cinq parties du roman, avec des résumés détaillés, des fiches de personnages exhaustives, une documentation approfondie et même certaines bribes de texte que j’ai notés pour ne pas oublier. Je savais déjà où j’allais et je connaissais même là toute fin du roman avant même d’y placer la toute première ligne. Ce n’était pas l’ennui, je prenais un plaisir fou à ficeler l’intrigue et à jouer avec les attentes de mes lecteurs. Tous ceux qui ont lu mon livre voyaient bien que je m’amusais comme un gamin avec des poupées d’argiles. C’était autre chose. La ferveur de l’écriture avait complètement disparu et je me suis trouvé à passer des heures et des heures devant un écran stérile, à regarder des tonnes de vidéos YouTube et à consommer jusqu’à l’obésité saison sur saison des séries que je connaissais comme les paumes de mes mains. Bien sûr, il y avait aussi le travail, la famille, etc. Cependant, arrêter d’écrire a quand même laissé en moi un vide incompréhensible.
Au bout d’une année sans écrire ne serait-ce un paragraphe, une introspection devenait essentielle pour surmonter cet état de végétation intellectuelle. Et j’en suis arrivée à quatre grandes conclusions qui m’ont beaucoup aidé à me remettre à l’écriture.
1. Je devais adopter une nouvelle perspective
Souvent, le fait d’écrire longtemps dans un genre donné peut nous amener à nous cantonner à une seule façon d’aborder un sujet, ou à poursuivre des sujets dans et autour des mêmes catégories. Bien que cela soit certainement essentiel pour créer un espace et construire une identité, il peut être utile d’envisager d’autres horizons à explorer. L’esprit humain étant ce qu’il est, une toile d’idées qui se multiplient à une vitesse monumentale, et non une trame linéaire d’idées qui se succèdent dans un ordre bien défini, telles les pages d’un livre. Durant cette longue pause, j’avais noté des dizaines et des dizaines d’idées d’histoires, toutes plus créatives les unes que les autres. J’avais envie de toutes les écrire, en même temps et dans tous les sujets. Adopter une nouvelle perspective ne veut pas nécessairement dire écrire dans un sujet totalement différent, il peut s’agir d’un sujet du même genre, sur lequel on n’a jamais écrit ; il peut également s’agir d’une approche de sujets similaires, mais d’un point de vue auquel on n’a jamais réfléchi.
Souvent, lorsque nous entreprenons un processus, notre instinct peut nous guider à rester enraciné dans le chemin qui nous est déjà familier. Curieusement, ce n’est que lorsque nous nous arrêtons complètement d’écrire que nous avons la possibilité de découvrir une autre voie. Proust n’a-t-il pas dit que « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » ? Finalement, les centaines d’heures de visionnage de mes films et séries préférés ne sont-elles pas en réalité le véritable bois qui a enflammé ce déluge d’inspirations ?
Faire une pause pour revenir à l’écriture peut non seulement offrir de nouvelles surfaces à explorer, mais aussi nous équiper pour partager des idées sur des domaines que nous n’avions pas envisagés auparavant — et qui sait ce que nous pourrions finir par découvrir sur ce que nous sommes capables de partager. En ce qui me concerne, ma reprise n’était pas une suite pour la première partie de « Abu Nizar », mais un tout autre roman, une nouvelle, dans un tout autre registre, un thriller psychologique. Ainsi, je n’ai pu véritablement reprendre l’écriture qu’après la publication de « Déni ».
2. Je devais me doter d’un nouveau style
L’écriture est le miroir de ce que je suis profondément. Chaque mot, chaque phrase porte l’empreinte de ma propre voix, mon style qui raconte ma propre histoire, même dans un univers littéraire saturé de récits. Ce n’est pas mon histoire dans le sens propre, mais c’est une histoire que je crée et qui est donc mienne. Je ressens l’importance de travailler sur cette voix, de la façonner pour qu’elle me ressemble, mais aussi pour mieux comprendre ce qui me pousse à écrire, ce qui anime cette flamme. Ce n’est pas juste pour être entendu, mais pour me reconnecter à ce qui me rend authentique.
Ma longue pause m’a aidé à me déconditionner, à m’éloigner des automatismes qui dictaient mon approche. J’ai pu tout questionner, de la manière dont je construis un paragraphe à la voix que j’y mets. Cette rupture m’a permis de prendre du recul sur mes priorités, sur ce que je choisis de mettre en avant. C’est là que j’ai compris que la voix dans l’écriture n’est jamais figée : elle se découvre, puis se réinvente constamment en fonction des besoins et des contextes.
Quand je m’arrête complètement d’écrire, je sens un renouveau qui s’opère. Ce vide me pousse à abandonner les réflexes, à laisser derrière moi les schémas répétitifs. Et quand je reviens à l’écriture, j’ai l’impression de m’approprier enfin ce qui m’a toujours appartenu. Ce processus m’aide à insuffler de la nouveauté dans mes textes, à leur donner une fraîcheur que je n’avais pas soupçonnée. Ce sont parfois de petits ajustements, mais ils portent cette magie du renouveau, simplement parce que j’ai saisi l’opportunité de me réinventer.
3. J’avais besoin d’une nouvelle routine
La routine peut être à la fois restrictive et libératrice. C’est une drôle de dualité. Elle peut m’enfermer dans une mécanique parfois étouffante, mais elle me donne aussi la liberté de m’approprier ce qui m’appartient vraiment. Quand je me suis éloigné de l’écriture, j’ai ressenti une rupture avec cette routine qui a longtemps rythmé ma vie. Et pourtant, ce temps de pause a fini par ouvrir une porte inattendue : celle d’adopter une nouvelle manière de faire, une routine différente, que je n’aurais jamais imaginé tester auparavant, mais qui finit par me convenir presque naturellement.
Changer ses habitudes, c’est découvrir des émotions inédites autour de l’écriture, des sensations différentes qui accompagnent chaque séance, des rituels nouveaux qui précèdent ou suivent ces moments passés à créer. Cela transforme mon état d’esprit, donnant au processus une saveur nouvelle, un souffle que je n’avais pas anticipé. C’est un peu comme si chaque reprise me permettait de redéfinir ce que signifie l’écriture pour moi, avec des perspectives rafraîchies.
Je sais à quel point chaque écrivain est attaché à sa propre routine, presque comme une ancre qui assure la stabilité du processus créatif. Mais cette longue pause m’a appris qu’expérimenter n’est pas une trahison de soi. C’est, au contraire, un moyen de briser les carcans d’un état d’esprit figé pour envisager des façons de faire plus alignées avec mes besoins actuels. Et, souvent, ce saut dans l’inconnu finit par enrichir non seulement mon écriture, mais aussi mon rapport à elle.
4. De nouvelles raisons de poursuivre l’écriture
Écrire est un acte chargé de motivations multiples, souvent imprévisibles. Les raisons qui m’amènent à poser des mots sur une page évoluent avec le temps, tout comme les expériences qui précèdent et suivent ce processus. Ce que je pensais être mon objectif initial change parfois en cours de route, transformé par les aléas du chemin. Mes déclencheurs se déplacent, mes motivations se réinventent, et même ma relation à l’acte d’écrire se redéfinit.
Il y a une forme de lâcher-prise dans le fait de laisser ce processus suivre son propre cours. C’est un voyage qui m’apprend autant sur mes premières intentions que sur celles qui émergent en chemin, et sur les raisons profondes qui me poussent à continuer. Cette fluidité, bien qu’inconfortable parfois, m’a révélé à quel point l’écriture peut être un miroir de mes propres changements, de mes propres défis.
Accepter ces transformations n’est pas toujours simple. Il y a une résistance naturelle à voir notre façon d’être ou de créer évoluer. Mais j’ai appris qu’accueillir ce changement, en tirer le meilleur parti est essentiel. C’est, à mes yeux, la seule manière de donner un sens aux pages encore à écrire et à l’histoire que je construis, une ligne à la fois.